Petit rappel aux plaideurs, tentés, lorsqu’ils soulèvent judiciairement l’absence de cause réelle et sérieuse d’un licenciement, de solliciter des dommages et intérêts supérieurs aux plafonds d’indemnisation fixés par l’article L1235-3 du code du travail, ce fameux « barème Macron », issu d’une (des) ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et qui fixe, en fonction de l’ancienneté du salarié injustement évincé, des planchers et plafonds d’indemnisation pour un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse.
Par deux arrêts rendus le 11 mai 2022 ( Cass soc. 11 mai 2022, n° 21-14490 et Cass soc. 11 mai 2022, n° 21-15247), largement commentés, la Cour de cassation, confortant ses avis n° 19-70010 et 19-70011, pris en Assemblée plénière le 17 juillet 2019, considère que ( …)les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT. Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.(…).( 1er arrêt n° 21-14490) et que (…) c'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que, les dispositions de la Charte sociale européenne n'étant pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l'invocation de son article 24 ne pouvait pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail et qu'il convenait d'allouer en conséquence à la salariée une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte. ( second arrêt n° 21-15247) .
En résumé, ce fameux article 10 de la Convention n°158 de l'Organisation internationale du travail (l'OIT), requiert le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée, pour le licenciement injustifié d’un travailleur et qui ne pourrait être annulé ou suivi d’une réintégration forcée dudit travailleur. L’invocation de cet article, et plus généralement, celle des dispositions d’une convention de l’OIT, par un justiciable dans un litige entre particuliers ne fait pas débat. On rappellera, par exemple, le sort réservé au contrat nouvelle embauche, crée par une Ordonnance ( également ratifiée) du 2 août 2005, permettant à l’employeur de rompre ce type de contrat à durée indéterminée, sans motivation, durant les deux premières années : la jurisprudence avait retenu l’inconventionnalité de cette disposition au regard de l’exigence, combinée, d’un motif valable de licenciement et d’une durée raisonnable de période d’essai permettant d’exclure le droit du licenciement, telle que posée par cette même convention n° 158.
Ici, donc, la première décision précitée continue d’inviter le juge du fond à apprécier in concreto le préjudice du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, mais sans pouvoir s’affranchir des planchers et plafonds d’indemnisation fixés à l’article L 1235-3 du code du travail et sans pouvoir, ainsi, pour l’espèce considérée, écarter la loi française au profit d’une norme institutionnelle internationale supérieure, régulièrement introduite dans l’ordre juridique interne selon l’article 55 de notre Constitution.
De nombreux juges du fond, qui avaient franchi ce Rubicon, sont désormais avertis.
Dès lors, d’une part, que ces limites ne sont plus applicables quand le licenciement est, non pas jugé sans cause réelle et sérieuse mais déclaré nul ( au visa de l’article L1235-3-1 du même code pour, entre autres, discrimination, violation d’une liberté fondamentale, harcèlement moral, etc) et que, d’autre part, le juge, dans le cas prévu, notamment, à l’article L1235-3, ordonne le remboursement par l’employeur fautif de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, dans la limite de six mois d’indemnité, la Cour de cassation retient que le système français est suffisamment dissuasif pour éviter un licenciement injustifié, qu’il permet raisonnablement et de façon adéquate, de réparer un tel licenciement et qu’en conséquence, il est compatible avec la Convention n° 158 de l’OIT.
Quant à l’article 24 de la Charte sociale européenne, parfois, lui aussi, invoqué avec succès pour écarter le carcan de l’article L1235-3, et qui déclare le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée, la Cour de cassation juge, dans la seconde espèce, confirmant l’arrêt de la cour d‘appel, que les dispositions de la Charte sociale européenne n'étant pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l'invocation de son article 24 ne pouvait pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail
On renverra à la lecture complète de ces deux arrêts particulièrement motivés, renseignant sur l’effet direct ou pas des stipulations d’un traité international régulièrement introduit dans notre ordre juridique interne, en application de l’article 55 de la Constitution.
Ces décisions devraient considérablement freiner les mouvements de rébellion ( pour la bonne cause) de certains conseils de prud’hommes et de certaines cours d’appel.
Est-il, enfin, encore pertinent de vouloir démontrer absolument toute l’étendue du préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’inviter le juge du fond à se rebeller et à dépasser le plafond applicable à l’espèce qui lui est soumise ?
La décision qui s’affranchirait des bornes fixées par l’article L1235-3 précité sera inévitablement vouée à la cassation, conduira le salarié, si bien sûr un pourvoi est formé, à défendre au pourvoi, à régler les honoraires de tel avocat aux conseils qui ne travaille pas, et de loin, gratuitement, à encourir, comme annoncé, la cassation de l’arrêt (ou du jugement) querellé, à payer, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, le cas échéant, les dépens, forcément et, comble de malchance, à voir la juridiction de renvoi, pourquoi pas, retenir, éventuellement, une toute autre lecture des faits de la cause et considérer que le licenciement repose finalement sur une cause réelle et sérieuse, avec, alors, un second pourvoi en cassation à former et un porte-monnaie devenu presqu’invisible.
Le premier avocat, un temps victorieux et ragaillardi, peut-être félicité par son client, regrettera sûrement la stratégie suivie et perdra ledit client.
Les contentieux de nullité de licenciement vont probablement se développer puisque l’article L1235-3 n’est, alors, plus applicable et, à défaut de solliciter la réintégration ou la poursuite de l’exécution du contrat de travail, le salarié se verra octroyer une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois et libérée de tout plafond.
Encore faut-il pouvoir choisir et invoquer, avec succès, l’un des cas de nullité prévus à l’article L1235-3-1 du code du travail mais nul doute que l’avocat ci-dessus changera son fusil d’épaule et sera, peut-être, assez habile pour faire admettre, à titre principal, une discrimination, une violation de liberté fondamentale ou un fait de harcèlement moral ou sexuel.
L’actualité en est, malheureusement, fort bien pourvue.
A défaut, il conviendra de solliciter systématiquement le montant maximum de dommages et intérêts en fonction de l’ancienneté du salarié et ne pas oublier que le juge ne peut statuer ultra petita et accorder plus que ce qu’on lui demande.
Dernière perspective envisageable, celle d’attendre la fin du second quinquennat en cours et de voir un nouveau président de la République, suivi d’une majorité parlementaire, absolue cette fois-ci, appelant à faire voter une énième loi Travail, avec en ligne de mire, l’article L 1235-3 du code du travail.
D’ici là, ce dernier a de beaux jours devant lui.